Engager les enseignants dans l’intégration des TIC en simplifiant l’environnement technologique.
Le défi
Nul n'est contre la Vertu. Peu de gens diront que les jeunes d'aujourd'hui n'ont pas besoin de la technologie en classe. Il y en a bien sûr, mais une grande proportion des enseignants vous diront qu'il est souhaitable d'utiliser les TIC d'une façon ou d'une autre en classe. Le plus souvent, la difficulté qu'ils expriment se situe au niveau du « Comment », même si le « Pourquoi » n'est pas toujours clair.
Pourquoi alors ?
Trop de gens pensent encore que la présence de la technologie en classe sert à permettre aux jeunes d'apprendre à l'utiliser. C'est à dire, apprendre à utiliser des logiciels, gérer des documents, faire des recherches, etc. Certes, on peut débattre du fait que les jeunes ne sont pas des spécialistes en logiciels et que leurs recherches ne sont pas toujours efficaces. En fait, ils sont souvent plus habiles à utiliser les technologies pour leurs besoins personnels, tels Facebook, ou parfois, le courriel, mais ils maîtrisent surtout l'utilisation de base du web. Pas tous, car certains ont développé plus d'habiletés que d'autres, mais de façon générale ce ne sont pas des experts, comme la majorité des utilisateurs d'ordinateurs d'aujourd'hui. Mais ce qui les différencie de ceux d'entre nous qui ne sont pas nés à une époque où la technologie était aussi présente, c'est qu'ils ont cette compréhension intrinsèque de la découverte du fonctionnement. Si on les place devant un appareil, ils savent comment trouver à l'utiliser en tâtonnant, en essayant, jusqu'à ce qu'ils en découvrent les secrets. Du moins, assez pour obtenir ce qu'ils désirent. Les non numériques d'entre nous ont comme difficulté de vouloir comprendre le fonctionnement et d'être sûrs de ne rien briser, avant d'essayer. Nous voulons un « cours » sur l'outil avant de nous aventurer.
En fait, le « pourquoi » n'est pas si clair. On peut dire que les jeunes ont besoin de vivre leurs apprentissages au moyen des TIC, et même des distractions apportées par celles-ci. Sinon, comment apprendront-ils à gérer ces distractions lorsqu'ils auront un emploi et que ces distractions seront au rendez-vous ? Mais surtout, les jeunes doivent apprendre au moyen des outils avec lesquels ils sont familiers, parmi lesquels ils ont grandi et qui font partie intégrante de qui ils sont. Souvenez-vous que ces jeunes sont exposés aux médias, aux jeux vidéo, aux ordinateurs et téléphones portables, consoles de jeux portatives, iPod et tout le reste depuis qu'ils sont nés. S'ils veulent une réponse, ils n'ont qu'à la trouver. Ils savent où la trouver et comment, alors la réponse n'a pas d'importance à leurs yeux, ils n'en ont pas besoin.
Mais en classe, on cherche encore souvent à leur enseigner des faits. On tente de les mettre en contexte, mais il reste que les faits sont encore bien trop au centre de leurs apprentissages scolaires. On tente de placer ces informations dans des contextes, afin de leur enseigner à mieux comprendre, mais il reste que pour eux, ce sont des informations statiques et souvent peu pertinentes. Même si ces faits sont des faits technologiques, comme l'utilisation d'un logiciel question d'apprendre à « faire des PowerPoint ». Selon eux, les adultes savent rarement leur montrer quelque chose de pertinent sur la technologie, car souvent, ils connaissent un moyen différent et qui leur convient bien. Ils utiliseront un site web pour créer une présentation, ou un tout autre outil. Pour eux, ce n'est pas pertinent en soi. S'ils ont besoin d'apprendre à faire quelque chose avec un logiciel, comme Photoshop par exemple, ils utiliseront leur outil de recherche principal, YouTube, pour apprendre à faire exactement ce qu'ils désirent.
La technologie peut rendre leur environnement pertinent et alors offrir une forme de motivation pour ces élèves. Toutefois, penser que la technologie elle-même, sa présence, est suffisante pour les motiver reste un faux espoir. D'ailleurs, l'arrivée massive de tableaux blancs interactifs dans les écoles en fait foi. Au début ils semblent motiver les élèves, mais ils comprennent rapidement que ce n'est qu'un emballage autour des mêmes informations ou concepts que nous tentions de leur enseigner auparavant. Dans un article sur ce sujet (
L’envers du tableau : ce que disent les recherches de l’impact des tbi sur la réussite scolaire, Karsenti, Collins et Dumouchel), les chercheurs du CRIFPE (Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante) dirigés par Thierry Karsenti, Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies de l'information et de la communication (TIC) en éducation arrivent à la conclusion que le TNI, s'il est bien intégré, peut certes appuyer une solide démarche pédagogique, mais que ses effets motivants sont habituellement de courte durée. De plus, ils encouragent des pratiques de diffusion de connaissances dans bien des cas et peuvent bloquer le développement de pratiques plus socioconstructivistes s'ils sont mal utilisés.
Il y a donc alors du désenchantement et à moyen terme, le TNI n'a plus cet effet si envoûtant.
Le changement ne peut provenir que de l'enseignant et du milieu éducationnel lui-même. Ce changement est bien profond et a été au centre de la réforme de l'éducation qui est au centre du Programme de l'École québécoise depuis la fin des années '90 et jusqu'à nos jours, même s'il a été modifié un tant soit peu depuis.
Mais dans les faits, ce changement n'a pas vraiment pris autant d'essor que l'on pouvait espérer.
Les TIC font partie de ce programme et ont souvent été mis de côté pour toutes sortes de raisons. D'abord définis au sein d'une compétence transversale, mot que peu de gens comprenaient, on sait aujourd'hui que cettedite compétence est de savoir utiliser les technologies à bon escient, au bon moment et de façon constructive, donc, pour appuyer des démarches. Ce n'est pas d'apprendre la technologie elle-même.
Il faut que les TIC puissent apporter une plus-value importante au sein de la pédagogie. Et c'est d'ailleurs lorsque cette pédagogie, la connaissance de la matière et la technologie sont utilisées en parfait accord que les résultats se font sentir. À cet effet, le concept de
TPACK (Technology, Pedagogy and Content Knowledge) tente d'expliquer comment ces trois éléments doivent se combiner pour être efficaces. En gros, lorsque la technologie appuie une démarche pédagogique propre à la matière couverte, alors nous obtenons des effets positifs sur les apprentissages.
Alors, comment ?
Certains enseignants intègrent les TIC depuis fort longtemps. De diverses façons bien sûr. Parfois, avec une intention pédagogique claire, parfois de façon plus ludique, mais qui encourage le développement des compétences transversales, ce qui reste assez positif. Certains, même s'ils font partie d'une minorité encore à ce jour, définissent leurs projets d'abord en choisissant leurs objectifs pédagogiques, puis, selon ces objectifs, choisiront l'approche et les outils permettant de développer ou évaluer l'atteinte de ces objectifs.
D'autres n'ont pas encore trouvé ce lien. Ils sont convaincus que les TIC doivent jouer un rôle. Ils savent que les élèves devraient bien pouvoir utiliser les technologies pour apprendre, mais le chemin précis pour y arriver reste incertain. Ils explorent des pistes, souvent en se fiant à leurs propres utilisations. Les élèves vont alors utiliser les technologies pour faire des recherches et créer des documents de traitement de texte ou des présentations. C'est un premier pas qui doit se faire. Mais comment aller plus loin ? Qu'y a-t-il plus loin ?
Le Dr Ruben Puentedura, du MIT, a développé un modèle d'intégration des TIC qui définit diverses approches possibles débutant avec les premières utilisations décrites ci-dessus. Par la suite, trois autres niveaux sont définis et le passage d'un niveau au prochain augmente la réussite des élèves de façon significative. Vous pouvez en découvrir plus sur ce modèle nommé SAMR sur le
site du Dr Puentedura. L'objectif ultime est de transformer la pédagogie afin que les TIC jouent un rôle de soutien à cette transformation des pratiques.
Mais c'est complexe !
Oui. Une réelle intégration des TIC n'est pas simple. Pour avoir un effet important sur les apprentissages, il faut des efforts. Il faut questionner nos pratiques, les travailler, les modifier et ultimement les transformer. Ce n'est pas simple du tout. Cela demande des efforts et du temps. Il faut être drôlement convaincu comme enseignant pour prendre ce temps et se remettre en question. Mais cela se fait peu à peu, une étape à la fois. Une fois qu'on est conscient de cette transformation et de son importance, alors on peut débuter par des approches substitutives (« S » du modèle SAMR), puis, peu à peu, modifier nos activités pour les adapter à la technologie (second niveau) pour arriver à les modifier pour en faire des activités tirant pleinement avantage des technologies et finalement, redéfinir nos pratiques et le rôle de la technologie au sein de ces pratiques.
En fait, plus on monte les échelons de SAMR, plus la technologie devient simple à gérer pour l'enseignant qui doit « lâcher prise » et laisser les jeunes utiliser celle-ci en vue des objectifs à atteindre. La transformation est bien plus pédagogique que technologique. Moins de gestion des outils, nul besoin d'être un expert en TIC pour l'enseignant qui définit des objectifs auxquels les élèves doivent répondre.
Donc, c'est un cheminement à long terme et qui doit tirer profit de la technologie, quelle qu'elle soit. Encore faut-il y avoir accès à cette technologie. Là encore, ce n'est pas simple.
Débuter par le carré de sable
Pour permettre à l'enseignant de développer ces pratiques, on ne peut pas lui imposer des outils complexes. L'enseignant ne veut pas gérer des câbles, des mots de passe constants, des outils de travail demandant des heures d'apprentissage, des bogues, des délais ou des complications.
L'enseignant qui désire développer des contextes de plus en plus riches pour ses élèves doit pouvoir utiliser la technologie de façon transparente et simplement s'en servir et laisser les jeunes s'en servir. Il doit apprendre à gérer la technologie et les élèves, leur inculquant des stratégies leur permettant d'utiliser les TIC de façon responsable bien sûr. Il doit aussi faire face à une gestion de classe qui inclut des distractions. Mais sans ce milieu riche en technologie tout en restant simple, il ne pourra pas explorer ces activités plus riches pour les élèves.
Le temps est également très précieux pour l'enseignant. Le temps passé à gérer les TIC ne doit pas empiéter sur son temps de préparation habituel. Les activités impliquant les TIC doivent remplacer d'autres activités et non s'ajouter à celles-ci. En plus, au moment de vivre une telle activité avec ces élèves, peu importe le niveau de SAMR, la technologie doit permettre de vivre ces activités à l'intérieur d'une période. Ou du moins, si l'activité se prolonge, il doit être simple de la continuer à un autre moment.
Il faut donc mettre en place un milieu qui simplifie toute cette gestion et malheureusement, c'est rarement le cas. Souvent, la définition même de « simple » pose problème.
Il arrive souvent que les services informatiques qui sont responsables des outils utilisés en classe se voient obligés de mettre en place des mesures strictes afin de s'assurer que la technologie répond justement à ce critère de stabilité. Moins il y a de problèmes, plus l'environnement est stable. C'est un excellent objectif. Malheureusement, ceci implique souvent que les enseignants ne peuvent pas explorer d'autres options. Ils sont limités aux logiciels prescrits et ne peuvent en utiliser d'autres. Les logiciels installés sont souvent trop complexes pour bien les connaître, du moins, pour la majorité des enseignants qui préfère avec raison rester des experts en pédagogie. Donc, pour cette majorité qui n'est pas composée d'experts en logiciels, cet environnement contrôlé à deux effets. S'ils sont au niveau de la substitution, ils peuvent s'en tirer, car à ce niveau, la pédagogie change peu, mais cela reste utile. La présence seule d'Internet apporte une instantanéité au niveau des informations qui n'ont jamais existé avant. Mais s'ils désirent explorer d'autres niveaux, particulièrement la Modification ou la Redéfinition, les outils sont habituellement trop limités et également trop complexes. Ceci décourage la plupart d'entre eux. Seuls résistent les enseignants profondément convaincus et confortables avec les TIC qui sauront utiliser tout outil à bon escient et en explorer les possibilités. Ils sauront faire face aux problèmes, car ils sont habitués. Pour les autres, ils se contentent souvent d'en rester là et même, ne savent pas toujours qu'il peut exister autre chose ou ne savent pas comment explorer les options.
Pour les utilisateurs avancés, tout est « simple »
Un utilisateur expert des TIC, ou du moins, confortable avec l'utilisation de celles-ci, dira rarement que ce qu'il « sait » faire est compliqué. Il aura tendance à dire, « c'est simple ». Et il aura raison. C'est simple pour lui ou elle. La simplicité représente en fait la « connaissance du chemin » et non la tâche elle-même. Ainsi, un utilisateur familier avec le montage vidéo et sachant utiliser des outils plus avancés, tels Adobe Premiere ou d'autres, ne trouvera pas difficile de les utiliser. Va de même pour l'environnement lui-même, qu'il s'agisse de Windows, Linux ou Mac, un utilisateur qui est à l'aise avec l'un ou l'autre arrivera à faire ce qu'il veut sans problèmes, bien évidemment. Il n'y a donc pas de grande différence pour eux.
Là où le Mac a amélioré le niveau de confort des enseignants, c'est dans les tâches plus complexes combinant divers médias. Le montage vidéo était autrefois plus simple sur un Mac. Dorénavant, on se débrouille bien sur un PC avec un logiciel un peu plus avancé que Windows Movie Maker pour faire des tâches semblables. Il y a parfois un coût, mais cela reste habituellement moins coûteux qu'un Mac. Par contre, si l’on explore les autres médias, comme la photo ou la musique, alors il faut habituellement ajouter encore d'autres logiciels, et le total finit par revenir à peu près au même, parfois même plus cher. Mais surtout, le système du Mac et l'intégration entre les divers logiciels, fait en sorte que ces tâches gérant plusieurs médias en sont facilitées. Matériel et logiciels étant faits par le même fabricant, le tout fonctionne habituellement de façon plus simple et uniforme. Dans un tel cas, la simplicité est définie au niveau des interactions entre logiciels pour atteindre des objectifs plus complexes et non de savoir comment utiliser un seul logiciel. Dans certains milieux, ceci a aidé à augmenter le niveau de confort des enseignants avec les TIC et leur permettre d'explorer les capacités de tout cela et même de commencer à explorer de nouvelles approches pédagogiques.
Un cas évident
En 2003, la Commission scolaire Eastern Townships a démarré un projet « 1 portable, 1 élève » où chaque élève de la 3e année du primaire à la 5e année du secondaire recevait son propre portable Apple. Plus de 5000 élèves à cette époque. Chaque enseignant également, soit près de 450. Ceci, dans une Commission scolaire n'ayant pratiquement aucune expérience avec la plate-forme Apple. Cette uniformité, la convivialité des outils, la formation et le soutien ont fait en sorte qu'au cours des 7 années subséquentes, années où l'ensemble du parc informatique est resté uniforme, les pratiques techno-pédagogiques se sont enrichies et ont progressé sur l'échelle SAMR de façon généralisée. Tellement en fait que la majorité des enseignants, soit autour de 87%, utilisaient la technologie de façon quotidienne après cette période. La Majorité d’entre eux ne pourrait plus s'en passer.
Par la suite, alors que les outils devenaient de plus en plus désuets et l'accélération des bris devenait plus rapide que celui du remplacement des appareils permis par les budgets, il a fallu diminuer l’étendue du projet, puis, distribuer des appareils moins coûteux comme des netbooks et des iPad et les partager entre les élèves. Plusieurs générations d'appareils se côtoyaient dans la même classe, rendant leur utilisation de plus en plus complexe, au point de décourager une bonne part des enseignants d'utiliser les TIC ou du moins, de faire des projets plus complexes. Les pratiques se sont donc mises à redescendre vers le bas du modèle SAMR et par le fait même, les pratiques pédagogiques sont redevenues plus « traditionnelles ». L'effort était devenu trop important pour ces enseignants qui en faisaient beaucoup. Les fameux netbooks ne permettaient simplement pas de faire des tâches bien avancées. Les iPad en mode partagé offraient un environnement d'une stabilité jusqu'alors jamais éprouvée, mais le fait de les partager rendait la création de projets plus riches très complexe ce qui décourageait beaucoup d'enseignants de les utiliser.
Il est certain que lors de la redéfinition de ce projet qui se fera sous peu, des outils qui augmentent la simplicité et diminuent la complexité pour les enseignants et élèves seront au centre de leur stratégie.
Conclusion
Un environnement où il est simple d'explorer et de vivre des projets a un impact vraiment important sur les pratiques des enseignants. Un tel environnement leur permet d'explorer des pratiques complexes, des nouvelles approches et de mieux intégrer les TIC dans leurs activités d'apprentissage. Si l'on simplifie l'environnement, on arrive à encourager des pratiques plus élevées sur l'échelle SAMR. L'effet de la simplification a donc une importance majeure sur le niveau des pratiques techno-pédagogiques et même pédagogiques tout-court.